[Archives] Projet de loi interdisant la dissimulation du visage

Publié le 15 septembre 2010

Discours de Mme Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés

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Monsieur le Président,

Monsieur le Rapporteur,

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

L’unité de notre pays est notre bien le plus précieux.

La préserver est notre devoir commun, quelles que soient nos différences, quelles que soient nos sensibilités politiques.

Le développement de pratiques radicales, contraires aux valeurs de la République, appelle notre vigilance et notre détermination.

Le projet de loi sur la dissimulation du visage dans l’espace public en est l’expression.

Adopté par l’Assemblée Nationale le 13 juillet dernier, ce texte est aujourd’hui soumis à votre examen.

Je salue la qualité du travail effectué par votre commission et votre rapporteur.

La recherche de l’intérêt général a prévalu sur les considérations partisanes.

Le débat parlementaire a fait une nouvelle fois honneur à notre démocratie.

Mesdames, Messieurs,

La volonté de vivre ensemble dépend de notre capacité à nous rassembler autour des valeurs communes et d’un destin partagé.

Vivre ensemble entraîne le refus du repli sur soi et du rejet de l’autre qu’exprime le communautarisme.

Vivre ensemble suppose l’acceptation du regard de l’autre.

Ce n’est pas une question de sécurité.

Ce n’est pas une question de religion.

Terre de laïcité, la France assure le respect de toutes les religions.

Elle garantit à chacun le libre exercice du culte de son choix.

Nous l’avons rappelé lors de la concertation que nous avons menée, le Premier Ministre et moi-même, avec les responsables religieux et les représentants des partis politiques.

Le projet de loi vise d’ailleurs toutes les formes de dissimulation du visage dans les lieux publics.

Vivre la République à visage découvert, c’est une question de dignité et d’égalité.

C’est une question de respect de nos principes républicains.

Le principe d’une interdiction générale de la dissimulation du visage sur l’espace public (I) est donc assorti à la fois de sanctions dissuasives et de mesures pédagogiques (II).

 

Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage.

La règle est claire, simple, logique.

La portée de l’interdiction se déduit de son fondement juridique.

L’interdiction est générale dans tout l’espace public.

Elle repose sur un fondement constitutionnel : l’ordre public social.

La notion d’ordre public inclut traditionnellement trois composantes matérielles : la sécurité, la tranquillité et la salubrité.

Elle comprend aussi une composante sociale ou « immatérielle » qui n’est pas moins importante.

Si l’ordre public matériel implique une proportionnalité entre le but visé et la contrainte imposée, l’ordre public social exprime les valeurs fondamentales du pacte social au nom desquelles des mesures d’interdiction générales peuvent être prises.

La notion est explicite dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, plus implicite dans celle du Conseil Constitutionnel.

Plusieurs arrêts du Conseil d’Etat en ont précisé les contours.

On peut citer l’arrêt « Société Les Films Lutétia » de 1959 ou l’arrêt « Commune de Morsang-sur-Orge », en 1995.

La notion d’ordre public social est présente aussi dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel.

Ainsi la décision du Conseil Constitutionnel du 13 août 1993 sur la loi relative à la maîtrise de l’immigration et celle du 9 novembre 1999 relative au PACS en sont deux illustrations.

En l’espèce, pour juger constitutionnelles les interdictions de la polygamie et de l’inceste, le Conseil Constitutionnel s’appuie lui aussi sur les valeurs fondamentales du vivre ensemble.

La dissimulation du visage sous un voile intégral est contraire à l’ordre public social, qu’elle soit contrainte ou volontaire.

Contrainte, la dissimulation du visage porte atteinte à la dignité de la personne.

L’asservissement ou la dégradation de la personne humaine sont strictement incompatibles avec la Constitution.

Volontaire, le port du voile intégral revient à se retrancher de la société nationale, à rejeter l’esprit même de la République fondé sur le désir de vivre ensemble.

Le voile intégral dissout l’identité d’une personne dans celle d’une communauté.

Il remet en cause le modèle d’intégration à la française, fondé sur l’acceptation des valeurs de notre société.

Il exprime la volonté de mettre en œuvre une vision communautariste de la société.

Il est donc incompatible avec nos principes constitutionnels.

La portée générale et absolue de l’interdiction découle de son fondement constitutionnel.

Toute mesure de police visant une atteinte à la sécurité, la salubrité ou la tranquillité publique doit être strictement limitée et proportionnée au trouble.

En revanche, une mesure visant une atteinte à l’ordre public social peut être de portée générale et absolue.

La jurisprudence du Conseil Constitutionnel, que j’évoquais à l’instant, l’a reconnu.

Le Conseil d’Etat l’avait jugé pour sa part dans l’arrêt « Commune de Morsang-sur-Orge ».

J’ajouterai deux remarques.

Une interdiction partielle, limitée à certains lieux, à certaines époques ou à certains services soulèverait, outre une incohérence juridique, des difficultés d’ordre pratique.

Elle affecterait la portée et la lisibilité de notre message.  Comment affirmer que  « le voile intégral ne respecte ni la liberté, ni la dignité, ni l'égalité » si nous limitons l’interdiction aux services publics ? 

Elle remettrait en cause la crédibilité de notre action. Comment convaincre les Français que la liberté, l'égalité et le respect de la dignité des femmes commencent dans la gare et s'arrêtent à sa sortie ?

Je précise que le Conseil d’Etat n’a pas dit qu’il n’existait pas de fondement juridique pour une interdiction générale.

Il a simplement relevé que le Conseil Constitutionnel n’avait pas à ce jour reconnu explicitement la notion d’ordre public social.

Ce n’est pas une raison suffisante pour y renoncer.

Deuxième remarque : l’interdiction est générale et absolue, mais elle n’est pas pour autant dépourvue d’exceptions.

Certaines activités nécessitent la dissimulation du visage dans l’espace public, sans pour autant porter atteinte à l’ordre public social.

Elles peuvent se justifier par des raisons de santé ou des motifs professionnels.

Elles s’inscrivent également dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes, ou de manifestations artistiques ou traditionnelles.

L’interdiction ne s’appliquera pas à l’ensemble de ces situations, dès lors qu’elles sont compatibles avec les principes du vivre ensemble.

 

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

L’interdiction de la dissimulation du visage sur l’espace public doit être générale et absolue.

Des sanctions garantissent l’effectivité de ce principe.

L’enjeu est autant de convaincre et de dissuader que de réprimer.

Convaincre les femmes de renoncer d’elles-mêmes à porter le voile intégral.

Contraindre ceux qui les y obligent d’accepter les règles de la vie en commun, les principes du vivre ensemble.

Une distinction est donc faite selon que l’infraction est commise par un choix volontaire (A) ou sous la contrainte (B).

L’infraction commise par un choix volontaire appelle une réponse adaptée.

C’est pourquoi le texte repose sur un équilibre entre pédagogie et fermeté.

Le dialogue devra primer sur la sanction.

Le texte prévoit une entrée en vigueur du texte six mois après son adoption, permettant dans ce délai un effort de pédagogie à l’égard des personnes concernées.

Les femmes qui portent le voile intégral pourront y renoncer spontanément.

La méconnaissance de l’interdiction prévue par la loi est constitutive d’une contravention de deuxième classe.

Elle est sanctionnée par une amende d’un montant maximum de 150 euros.

Un stage de citoyenneté peut être substitué ou prescrit en complément à la peine d’amende.

La dissimulation forcée du visage appelle en revanche des sanctions beaucoup plus fermes.

La République n’accepte pas les atteintes à la dignité humaine.

Elle ne tolère pas l’abus de la vulnérabilité des personnes.

 

La commission de l’Assemblée Nationale a amélioré le texte initial en prévoyant des sanctions plus fermes et donc plus dissuasives pour ceux qui contraignent les personnes à dissimuler leur visage.

Le fait de contraindre une personne à dissimuler son visage est un délit.

Il sera puni d’une peine d’emprisonnement d’un an et d’une amende pouvant s’élever jusqu’à 30 000 euros.

Si la personne contrainte est mineure au moment des faits, la peine sera doublée : elle pourra s’élever à 2 ans de prison et 60 000 euros d’amende.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

A l’heure de l’internationalisation et de la complexification de nos sociétés, les Français s’interrogent sur le devenir de notre Nation.

Notre responsabilité est de faire preuve de vigilance et de réaffirmer les valeurs que nous avons en partage.

Notre devoir est de parler d’une seule voix pour exprimer notre attachement unanime aux valeurs de la République.

L’autorité politique, juridique et morale de votre haute assemblée assure la stabilité de nos institutions. Elle garantit aussi la pérennité de nos valeurs.

Soyons fiers de ce modèle qui fonde notre pacte social et forge notre identité.

Soyons dignes des exigences attachées à l’honneur d’être Français, au privilège de vivre en France.

Je vous remercie.