Projet de loi de programmation et de réforme de la justice

Publié le 09 octobre 2018

Discours de Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice devant le Sénat - 9 octobre 2018

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Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,

Messieurs les Rapporteurs,

Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs,

Faire de la justice une priorité. C’est l’engagement pris par le Président de la République en 2017 devant les Français.

Le projet de loi de programmation et de réforme de la justice, ainsi que le projet de loi organique qui l’accompagne, témoignent du respect de cet engagement par le Gouvernement.

Le constat est ancien ; il est clair ; il est partagé. La société française se transforme ; l’État redéfinit ses missions ; les services publics se modernisent. Et celui de la justice n’échappe pas à ces mutations. Pour rendre le meilleur service possible aux citoyens, la Justice doit se renforcer et s’adapter.

Pour se renforcer, il lui faut des moyens. Or, nous devons ici rattraper un retard cruel. Le Gouvernement répond à cette nécessité en décidant de consacrer un budget très important à la Justice.

Cette augmentation budgétaire est nécessaire. Elle ne saurait pourtant suffire à répondre aux défis qui sont devant nous. Il faut aussi s’adapter aux besoins des justiciables et gagner en efficacité. Des réformes s’imposent.  

Depuis que m’a été confiée la responsabilité du ministère de la Justice, je me suis évertuée à aller à la rencontre des magistrats, des greffiers, des agents, des professionnels du droit et des justiciables, partout en France. À travers mes nombreux déplacements et par les échanges que j’ai pu avoir, j’ai été frappée par la confiance que nos concitoyens ont en l’indépendance de la justice mais aussi par le fait qu’ils la jugent trop complexe et trop lente. Ils ont raison.

Mon ambition est simple. Elle peut paraître modeste. Je la crois au contraire essentielle : je souhaite que les Français se sentent protégés, écoutés, pris en considération par leur justice.

Et j’ai la conviction profonde que la justice sera plus crédible si elle est rendue avant tout compréhensible pour les citoyens et si elle apporte des solutions en temps utile aux problèmes quotidiens qu’ils rencontrent.

C’est cette conviction qui donne au projet que je vous présente ses caractéristiques propres et un contenu ambitieux.

I. Les caractéristiques du PJPRJ

Trois traits caractérisent cette réforme : elle est globale et concrète ; elle a été construite pour le justiciable et elle consacre des moyens importants à la justice.

A. Une réforme globale et concrète

Dès mon entrée à la Chancellerie, j’ai fait un choix. Celui d’une réforme globale et concrète.

Globale car le texte qui vous est proposé conjugue des moyens – c’est une loi de programmation – et des évolutions relatives aux procédures, aux méthodes et à l’organisation – c’est une loi de réforme de la Justice.

Concrète , cette réforme entend l’être car elle s’appuie de manière pragmatique sur les propositions du terrain, dans le respect de principes indépassables comme la garantie des droits. Je n’ai pas répondu à des considérations idéologiques dont notre Justice a trop souffert par le passé. Ma volonté est de mettre en action des principes qui auront un effet direct et rapide sur la justice au quotidien.

C’est ce souci qui a dicté la méthode que j’ai voulu mettre en œuvre pour construire cette loi de programmation et de réforme.

B. Une réforme construite avec les acteurs pour le justiciable

J’ai organisé une grande consultation – les Chantiers de la Justice ­ d’octobre 2017 à janvier 2018 – qui a permis d’entendre tous les acteurs et de faire remonter des propositions issues du terrain.

Des concertations ont été ensuite menées avec toutes les parties prenantes. J’ai voulu écouter les propositions, comprendre les arguments et y répondre mais sans jamais abandonner mon ambition pour la justice.

Une réforme suscite toujours des réactions, surtout dans notre pays. Certains expriment des craintes face au changement. D’autres ont des aspirations nouvelles. Ces craintes et ces aspirations sont loin d’être toujours convergentes selon que l’on se place du point de vue des avocats, des magistrats, des élus… Pour ma part, je n’ai qu’une seule boussole : l’intérêt des justiciables, c’est-à-dire l’intérêt général.

C’est dans cet esprit que les deux projets de loi ont été déposés sur le bureau du Sénat. Ce choix n’est pas dû au hasard, car je sais le travail accompli par votre commission des lois sur ces questions. Je salue d’ailleurs ce travail qui nourrira nos débats.

C. Une réforme qui consacre des moyens pour la justice

Il s’agit d’une priorité gouvernementale. Nous avons besoin de moyens pour investir et recruter afin d’assurer une justice de qualité.

C’est tout l’intérêt d’une loi de programmation sur 5 ans qui offre une visibilité indispensable. Les moyens mis en jeu sont considérables. 

Une première étape a été franchie avec la loi de finances pour 2018. Le budget de la justice a connu une hausse de 3,9 % et la création de 1 100 emplois.

Une deuxième étape est intervenue avec le budget 2019. L’augmentation de nos moyens s’accélère avec une hausse des crédits de 4,5 % et la création de 1 300 emplois.

Dans le projet de loi de programmation qui vous est soumis, il est prévu des moyens dont l’importance doit être mesurée à la hauteur de la discipline budgétaire à laquelle le Gouvernement s’astreint par ailleurs : le budget de la Justice augmentera de 1,6 milliard en 5 ans (passant de 6,7 à 8,3 milliards hors pensions [1]) soit une hausse de 24 % et il engagera 6 500 recrutements. On peut toujours vouloir plus et proposer des chiffres encore plus élevés. Tout est toujours possible. Mais on ne peut s’abstraire d’un contexte financier et budgétaire global. Et je crois qu’il ne faut pas nier le caractère positif de la mise en jeu de tels moyens au service de la Justice.

De l’utilisation de ces moyens, on peut attendre une amélioration des conditions de travail des magistrats et des personnels, une résorption des vacances de postes et la possibilité de constituer de véritables équipes autour des magistrats.

Ce budget va aussi nous permettre de passer de l’ère de l’informatique à l’ère du numérique. Il s’agit pour moi d’un élément stratégique, c’est « le » défi qu’il nous faut relever pour que la Justice soit vraiment à la hauteur de l’attente des justiciables. A cette fin, nous allons engager plus d’un demi-milliard d’euros pour cette révolution numérique.

Enfin, ces moyens se déploieront naturellement dans le secteur pénitentiaire, avec la construction de 15 000 places de prison dont 7 000 seront livrées et 8 000 engagées d’ici 2022. Le texte propose d’ailleurs des dispositions permettant d’accélérer la construction des établissements pénitentiaires par l’allégement de certaines procédures. Votre commission des Lois a, en partie, écarté ces dispositions ce que je regrette.

J’ajoute que le projet de loi de programmation prévoit aussi la création de 20 centres d’éducation fermés. Ils constitueront l’une des réponses envisageables, parmi une gamme de propositions, à la question des jeunes mineurs délinquants.

Mais au-delà des moyens, ce texte est d’abord un texte de réforme, comme le Conseil d’État l’a fortement souligné dans son avis.

II. Le contenu ambitieux du PLPRJ

Il se dessine autour de six axes de réforme.

A. Le premier axe s’attache à  la procédure civile 

La procédure civile concerne la justice de tous les jours, de la vie quotidienne, peu spectaculaire, pourtant essentielle. Mon projet est simple : il faut simplifier les procédures, faciliter la vie des gens, recentrer le juge sur son cœur de métier, tout en maintenant une justice humaine, protectrice et proche des justiciables, une justice de meilleure qualité.

C’est le sens des dispositions du projet de loi.

Simplifier les procédures passe, par exemple, la réduction des modes de saisine de la juridiction civile ou par une procédure de divorce plus fluide, en en diminuant par deux la durée des divorces contentieux qui atteint aujourd’hui plus de deux ans.

Faciliter la vie des gens c’est supprimer les formalités inutiles en matière de protection des majeurs vulnérables, tout en renforçant encore leurs droits fondamentaux, notamment l’exercice de leur droit de suffrage. La dématérialisation des petits litiges du quotidien est une voie à explorer et une faculté nouvelle à offrir à nos concitoyens pour plus de simplicité. La dématérialisation des injonctions de payer permettra d’obtenir une ordonnance plus rapidement.

Recentrer le juge sur son cœur de métier nécessite de développer les règlements amiables des différends, comme nous le proposons. Cela suppose aussi que nous prenions en considération les outils nouveaux que sont les plateformes juridiques, mais en les encadrant avec un haut niveau de garanties pour les utilisateurs.

Assurer une justice de meilleure qualité , c’est proposer par exemple d’étendre le périmètre de la représentation obligatoire par avocat : cela ne s’appliquera pas aux litiges inférieurs à 10 000 euros mais à certains contentieux complexes.

Grâce à ces mesures et à de nombreuses autres, l’expertise de l’avocat sera plus fine et mieux dirigée dans l’intérêt du client. Le travail du juge sera facilité : il sera recentré sur son office et les résolutions des litiges ne passeront plus nécessairement par le juge afin de pacifier et responsabiliser la société.

Sur la procédure civile, je dois constater que votre commission des Lois envisage de revenir sur la plupart des mesures proposées, en les vidant bien souvent de leur substance. Je le regrette. Je ne partage pas les préventions de votre commission quant au recours au numérique, à la dématérialisation. Ces préventions m’ont étonnée, je dois l’avouer. Je crois que cela constitue, au contraire, un grand progrès si les garanties nécessaires sont apportées et que la justice demeure humaine : c’est le cas dans le projet que je porte et il ne saurait en aller autrement.  

Je ne souhaite pas pour ma part renoncer à l’ambition de cette réforme. Le statu quo n’est pas acceptable. Mais nous en débattrons.

B. Le deuxième axe concerne la procédure pénale

Je ne veux pas céder au fantasme du grand soir de la procédure pénale. J’ai voulu construire des solutions pratiques nées des constats issus du terrain grâce au travail conduit en commun avec le ministère de l’Intérieur pour la phase d’enquête.

La procédure pénale s’est complexifiée ces dernières années, à l’occasion de réformes qui se sont succédé parfois sans cohérence. Cela nuit à l’action de l’autorité judiciaire et des enquêteurs. Parallèlement la criminalité prend aussi des formes nouvelles qui imposent plus de réactivité et de simplicité dans l’action.

Nous devons donc nous adapter pour mieux protéger les Français. L’objectif que je poursuis consiste à atteindre  plus d’efficacité tant pour les justiciables que pour les acteurs de la justice, et cela sans sacrifier la garantie des droits.

A cette fin, il faut simplifier le travail des acteurs, mieux protéger les victimes, lutter contre la délinquance du quotidien.

Simplifier le travail des acteurs qu’ils soient enquêteurs ou magistrats est bien une priorité. C’est la raison pour laquelle je souhaite une numérisation complète des procédures. C’est aussi pour cela que le texte propose toute une série d’harmonisations, par exemple sur les seuils de déclenchement de certaines procédures. Plus de clarté des textes et des procédures, c’est naturellement une action pénale plus simple au bénéfice final des justiciables.

Mieux protéger les victimes est aussi une de mes grandes préoccupations. La plainte en ligne constituera un réel progrès notamment pour les victimes de violences sexuelles ou conjugales qui hésitent à franchir le seuil des commissariats pour porter plainte. Dans le même esprit, je propose, à travers ce texte, l’expérimentation du tribunal criminel départemental afin notamment d’éviter la correctionnalisation de certains crimes. Votre commission des Lois a suivi le Gouvernement sur ce point et c’est important.

Lutter contre la délinquance du quotidien  est également une nécessité. L’instauration des amendes forfaitaires pour l’usage des stupéfiants, l’extension de l’interdiction de comparaître en constituent des exemples. La commission des Lois a approuvé cette démarche.

J’ai entendu certains professionnels du droit s’exprimer dans la presse, dans des termes souvent bien différents de ceux employés lors des réunions de travail que j’ai pu tenir avec eux, pour dénoncer les atteintes qui seraient soi-disant portées à la garantie des droits. J’ai d’ailleurs entendu, en même temps et d’un autre côté, que ce texte offrait trop de garanties au risque d’entraver le travail des enquêteurs.

Tout cela est excessif et infondé. Ce sont des postures. Je souhaite que nos débats soient l’occasion de clarifier les choses.

Les garanties constitutionnelles sont bien là. J’y ai veillé. Le Conseil d’État l’a amplement confirmé dans son avis. Au renforcement des pouvoirs des enquêteurs répond le contrôle des magistrats du parquet et du siège (par le JLD) sur les actes d’enquête. Je rappelle que les magistrats du parquet sont avant tout des magistrats, indépendants et garants à ce titre également de la liberté individuelle. Quant aux JLD, je ne crois pas que les contrôles qu’ils exercent soient de nature formelle. Par l’intervention de ce juge statutaire, la garantie des droits est bien assurée.

Je dois avouer que je m’interroge sur la position adoptée par votre commission des Lois qui a très sensiblement modifié ce texte dans un sens qui me semble parfois éloigné des besoins réels des juridictions, des enquêteurs et des justiciables. J’évoque ici quelques exemples :

- Votre commission des Lois a supprimé la procédure de comparution différée. Or, il faut avoir conscience qu’à l’heure actuelle, faute de disposer de cette procédure, les parquets se voient fréquemment contraints d’ouvrir des informations judiciaires afin de solliciter le placement d’un suspect en détention provisoire pour éviter sa fuite et ce, alors que l’enquête est pourtant sur le point d’aboutir. Cette procédure de comparution différée pourrait épargner demain des mois de détention provisoire à ces suspects en sollicitant du JLD une détention provisoire de seulement quelques jours dans l’attente du retour des quelques actes de procédures manquants.

- De même, prévoir, comme le souhaite votre commission, le droit pour les suspects d’être assistés par un avocat lors d’une perquisition générera des difficultés opérationnelles majeures pour les enquêteurs sur le terrain.

Il faut être clair, sur ce plan, le texte de la commission des Lois peut apparaître comme en retrait pour ce qui est l’efficacité des enquêtes et en contradiction avec le constat fait récemment par la mission d’information consacrée à…. qui appelait à « vaincre le malaise des forces de sécurité intérieure ». 

Mais là encore nous en débattrons plus en détail.

C. Le troisième axe redéfinit le sens et l’efficacité de la peine

Notre objectif est ici de mieux réprimer les infractions, de mieux protéger la société et de mieux réinsérer. C’est un chantier essentiel qui doit se comprendre en lien avec le plan pénitentiaire que j’ai récemment présenté.

Il faut d’abord remettre de l’ordre dans notre droit de la peine. Le postulat de base est simple : ceux qui doivent aller en prison doivent s’y rendre réellement ; ceux qui n’ont rien à y faire doivent être sanctionnés… mais d’une autre manière.

C’est pourquoi je propose une nouvelle échelle des peines, considérant que toute infraction mérite sanction :

- en dessous d’un mois, les peines d’emprisonnement ferme seront interdites ;

- entre un et six mois, la peine s’exécutera par principe en dehors d’un établissement de détention ;

 - entre six mois et un an, le tribunal aura la possibilité d’imposer que la peine s’exécute en détention mais pourra aussi orienter vers un aménagement ;

- au-delà d’un an, les peines d’emprisonnement seront exécutées sans aménagement ab initio. Le seuil d’aménagement des peines d’emprisonnement sera ainsi abaissé de deux ans à un an (art.723-15).

Quel est mon objectif ?

Mettre fin aux emprisonnements de courte durée, très souvent inutiles, désocialisants, qui nourrissent la récidive.

Mais il faut aussi assurer une exécution effective des peines prononcées ; aujourd’hui l’inexécution des peines de prison rend incompréhensible notre justice pénale aussi bien pour les victimes que pour les délinquants.

Il faut que les peines prononcées en lieu et place de la prison soient des peines réelles, utiles et autonomes, qu’il s’agisse des travaux d’intérêt général ou de la détention à domicile sous surveillance électronique (le bracelet électronique) que nous proposons de développer.

L’efficacité ne consiste pas à brandir la prison comme un mantra ou une martingale. Ce n’est pas non plus vouloir vider les prisons au nom d’une vision irénique de la société. J’en appelle à sortir de ces schémas tout faits : ils nous empêchent de voir la réalité telle qu’elle est.

Je constate que votre commission des Lois, si elle partage les objectifs globaux que je propose,  a adopté un point de vue opérationnel différent de celui du projet, en particulier sur les plus courtes peines. La prison demeure pour vous un outil, une forme d’horizon, pour les plus petits délits. Pour notre part, nous proposons une approche par paliers afin de moduler davantage la réponse et de renforcer son individualisation.

Vous ne souhaitez pas faire du bracelet électronique une véritable peine. Ce n’est pourtant pas une commodité mais bien une mesure coercitive efficace, qui permet, comme l’affirmait Dominique Perben en 2004, d’« éviter la désocialisation » et « le contact parfois préjudiciable avec le milieu carcéral ».

Pour les courtes peines, il me semble préférable que la juridiction de jugement prononce, dès le départ, le placement sous bracelet électronique, le placement en semi-liberté ou un placement extérieur. Il faut assumer que ces modalités d’exécution sont plus efficaces qu’une incarcération.

Si je propose par ailleurs un sursis probatoire, mêlant la contrainte pénale et le sursis avec mise à l’épreuve, c’est dans un souci d’efficacité et de souplesse pour surmonter les difficultés rencontrées dans l’application de cette peine de contrainte pénale depuis sa création. Là encore, nous partageons le même objectif, mais je crains que la peine de probation proposée par votre commission des lois ne parvienne pas à remédier aux lourdeurs actuelles.

Nous avons là un point de divergence que j’assume au nom de l’efficacité de la sanction et de la lutte contre la récidive.

D. Le quatrième axe prévoit l’évolution de l’organisation judiciaire

Il s’agit de réformer, sans brutaliser et comme je l’ai dit devant votre commission des Lois : je n’ai pas dessiné de carte ; j’ai voulu proposer une méthode.

Mon projet est fondé sur une double préoccupation :

- La proximité. Le justiciable doit avoir un accès simple à la justice. Cela passe par une proximité physique mais aussi par le développement du numérique ;

- La qualité du service public de la justice. La dispersion des moyens, l’absence de spécialisation pour certains contentieux complexes ne sont pas le gage d’une justice efficace.

Dès l’ouverture des chantiers de la justice, j’ai affirmé qu’il n’y aurait aucune fermeture de lieux de justice. Je tiens parole.

Mais il faut aussi améliorer notre organisation ce qui passe par trois évolutions principales :

- le texte prévoit tout d’abord la fusion des TGI et des TI. L’organisation de la première instance sera ainsi plus simple pour le justiciable qui ne connaîtra plus qu’un seul tribunal, avec une seule procédure de saisine. Tous les sites sont maintenus, je le redis ici, pour assurer une justice de proximité pour les contentieux du quotidien. Et j’ai également décidé, à la suite de la concertation que j’ai menée, de maintenir un juge des contentieux de la protection, chargé des tutelles, du surendettement, des crédits à la consommation et des baux d’habitation. Ce juge spécialisé statutaire traitera des contentieux ainsi identifiés comme relevant des problématiques de vulnérabilité sociale ou économique. Pour optimiser le traitement des contentieux et s’adapter au mieux à la situation de chaque ressort, les chefs de cour pourront, dans les villes où il n’existe actuellement qu’un tribunal d’instance, lui confier des contentieux autres que ceux pouvant y être actuellement jugés.

- Une deuxième évolution concerne les départements dans lesquels il existe plusieurs tribunaux de grande instance qui sont tous maintenus. Les chefs de cour pourront, également après concertation locale, proposer de créer dans chacun de ces tribunaux des pôles de compétences qui jugeront, pour l’ensemble du département, certains contentieux spécialisés, techniques et de faible volume. L’idée est de permettre de renforcer les compétences des magistrats là où c’est utile et d’améliorer en conséquence les délais de jugement.  

- Enfin, le projet de loi prévoit d’expérimenter dans deux régions comportant plusieurs cours d’appel, l’exercice par l’une d’elle de fonctions d’animation et de coordination ainsi que la spécialisation des contentieux selon le modèle précédemment évoqué.

Le projet de loi organique tire les conséquences de la loi ordinaire quant à la fusion TI/TGI.

J’observe que votre commission des Lois a évolué sur ces questions. Vous étiez partis de l’idée d’un tribunal départemental imposé par la loi. C’était une réforme qui n’était pas acceptable par les territoires. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai proposé une méthode plus concrète, partant des projets territoriaux, en concertation avec les acteurs pour conjuguer proximité et qualité. C’est le choix de la réforme que ne suit pas votre commission. Elle propose certes la création de tribunaux de première instance mais sans que soit ouverte la possibilité, au plus près du terrain, de mieux adapter les compétences de chaque juridiction pour améliorer la qualité de la justice. Je le regrette.  

J’en terminerai enfin avec deux axes de la réforme, un peu moins centraux dans ce texte.

E. Le cinquième axe de la réforme s’attache à la diversification du mode de prise en charge des mineurs délinquants

Outre la création de 20 CEF, le texte permet de mieux préparer la sortie progressive des jeunes de ces structures, et notamment le retour en famille pour en atténuer les effets déstabilisants.

Il sera aussi institué, à titre expérimental, une mesure éducative d’accueil de jour, troisième voie entre le placement et le milieu ouvert.

Je sais le travail mené dans votre assemblée par Catherine Troendlé et Michel Amiel sur ces questions et je ne doute pas que nous évoquerons ces sujets de manière plus approfondie lors de nos débats.

F. Le sixième axe concerne enfin la procédure devant les juridictions administratives

Le projet de loi prévoit en effet le recrutement de juristes assistants pour renforcer les équipes autour des magistrats. Il prévoit aussi de renforcer l’exécution des décisions par des injonctions et des astreintes.

Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs c’est bien une réforme ambitieuse que je porte. Le Gouvernement vous proposera d’ailleurs de l’enrichir notamment par des dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, avec la création d’un parquet national spécialement dédié, dispositions qui ont été soumises à votre commission des Lois.

Mon objectif est à la fois simple et complexe : il s’agit de mieux servir les justiciables et la justice. Je suis certaine que nous le partageons.

Sur certains points nous avons une approche différente. Sur d’autres, au contraire, nous nous rejoignons. Mais ce qui nous réunit c’est la volonté de faire que la Justice de ce pays sorte enfin de l’état dans lequel elle se trouve. Cher Philippe Bas, vous vous étiez fixé comme objectif de redresser la justice. Je ne sais pas s’il faut la redresser car elle me semble droite en dépit de ses faiblesses. Ce dont je suis certaine c’est qu’il faut la soutenir et la réformer. J’espère, je suis même convaincue, qu’ensemble nous trouverons les voies et moyens de porter une réelle et belle réforme de la Justice.

[1] Plus de 9 milliards si l’on inclut les pensions.

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